Le Père Peinard 31 décembre 1890 : Eh, eh! Ca ronfle par là-bas. Et dam, comme y a un bout de temps que çà mijote, les gas commencent à perdre patience.
Mercredi et jeudi derniers, y a eu du grabuge, nom de dieu!
Après s'être baladés dans le pays en chantant
la Carmagnole et
l'Internationale, drapeau rouge en tête, les grévistes ont poussé une petite visite à l'exploiteur Faure. Mais c'était pour lui démolir sa baraque. Comme l'usine, de même que le château étaient protégés par une chiée de gendarmes, les zigues n'ont pu y aller carrément, comme ils auraient voulu. Ils se sont contentés de foutre tous les carreaux en bas à coups de pierres et de briques. Le plus chouette et ce qui vous fait un rayon de soleil dans le coeur, c'était le drapeau rouge qu'une gonzesse d'attaque portait tout en trimballant son momignard sur les bras.
Ah, la bonne bougresse! C'était un drapeau aussi que son môme, nom de dieu : "Reluquez le môme qu'elle aurait pu dire, il est tout petiot, il ne sait pas de quoi il retourne. Eh, bien, si nous n'avons pas de coeur au ventre, il restera malheureux comme père et mère. Du nerf, nom de dieu. Vous savez les hommes, je l'ai foutu en tête parce que je sais que vous le défendrez".
Eh oui, c'est à peu près ce que voulait dire la gironde, tu penses, en baladant son môme dans la manifestance.
Dès que les jean-foutres ont vu que les moutons ne voulaient plus se faire tondre, ils ont fait radiner la troupe. C'est le 91ème de ligne qu'a rappliqué. Quoi qu'il est venu foutre, bon dieu?
Hélas peut-être, trouer la peau aux bons bougres!
Quand j'y songe, ça me bouleverse, nom de dieu. Je peux pas me faire à cette à cette idée qu'au jour d'aujourd'hui, le pioupiou, qui est notre frangin, puisse nous assassiner de la sorte.
Il est de la famille des peinards, sacré tonnerre! Est-ce qu'il va nous renier, faire plus que nous renier, nous trouer la calebasse?
Et cela pour faire plaisir aux richards, sur l'ordre des galonnés!
C'est horrible, nom de dieu.
Tireraient-ils les soldats, si on les commandait ?
Voilà le grand hic!
Pourquoi donc ne tireraient-ils pas en l'air ? C'est pas difficile!
Quand les salops de chefs commandent le feu, y a qu'à lever le canon du flingot de quelques doigts; le coup part, la balle passe au-dessus des caboches sans faire de bobo aux bons bougres, et personne n'y voit que du bleu.
C'est à la portée de tous, ça, même du plus foireux.
Pardine, vaudrait mieux faire demi-tour et s'en prendre aux vrais ennemis, mais tout le monde n'a pas ce tempérament...
Et pourtant ce que ça serait galbeux, si les troubades se foutaient hardiment du côté du populo.
Le lendemain de la première manifestance, voilà que sans dire gare, les pandores foutent le grapin sur un chouette zigue : Mauguière.
Ah, mais quand le populo a su de quoi il retournait, il s'est foutu aux trousses des gendarmes. Y avait 1.500 bons bougres qui les poursuivaient, nom de dieu! Et dam, les pierres leur tombaient dru sur le casaquin aux gendarmes.
La conduite n'a fini qu'à Rocroi qui est à 11 kilomètres de Revin, devant la prison les gens ont tellement fait de chambard qu'ils se sont fait rendre leur camaro. Et c'est tous en choeur que les zigues ont rappliqué à Revin en chantant
la Carmagnole et
le Chant des Peinards.
Nom de dieu, ça a l'air de prendre une tournure chouette pour le populo!
C'est les grosses légumes qui ne sont pas à la noce : ils font tout ce qu'ils peuvent pour que les bons bougres ignorent ce qui se passe là-bas.
C'est des étouffoirs, ces cochons-là!
Ils coupent la chique aux nouvelles, aussi facilement qu'ils nous tirent le pain de la bouche.
Ah dam, c'est leurs picaillons qui sont en jeu! Ils ont le trac que ça fasse la trainée de poudre, et que le bon exemple donné par une floppée de gas, émoustille les autres et leur remonte le moral.